" Je vis un jeune homme mince et élégant, les cheveux d’un blond pâle, presque blanc, à la coupe impeccable, s'avancer vers moi. Je n'avais aucune idée de qui il pouvait bien s'agir et je faillis passer mon chemin en l'esquivant, mais je me rappelais le but de cette soirée et préférais ne pas commettre d'impair. Des chefs de clans étaient présents et je ne voulais pas embarrasser Declan. Je dus prendre sur moi pour faire bonne figure et me préparer à un échange de mondanités.
— Aylyn, tu nous as manqué au conseil.Surprise qu'il connaisse mon nom alors que j'ignorais son identité et de son ton familier, je restais interloquée.
— Par contre, je suis agréablement surpris de te voir ici et aussi élégante, enchaîna-t-il. J'essayais de me souvenir d'où il pouvait me connaître. Il avait parlé du conseil donc...
— Sohren, fis-je incertaine.
Il me fit une petite courbette moqueuse avant de laisser errer son regard sur ma silhouette, pas gêné le moins du monde de me détailler ainsi. Croisant les bras devant ma poitrine un peu trop exposée à mon goût, je le fusillais du regard. Son air arrogant m'insupportait autant que quand il était sous sa forme animale. "
" Un silence pesant plana dans la pièce. Les trois hommes présents restèrent bouche bée devant mon éclat de voix. D'ordinaire, je n'aurais jamais osé élever le ton ainsi devant notre chef, mais je n'étais plus en état de raisonner. Bondissant de mon siège, je fis la seule chose que me dictait mon instinct dans des situations pareilles. Je fuyais. La porte claqua derrière moi alors que je fonçais dans le couloir, indifférente aux regards surpris des membres de la meute que je croisais. Telle une flèche, j'escaladais quatre à quatre l'escalier menant à la surface. Sans m'arrêter, je courais vers la forêt toute proche. Celle-ci était mon refuge dès que j'allais mal, le seul endroit susceptible de m'apporter un sentiment de sécurité. Même le jour de l'Accident elle ne m'avait pas abandonné. C'est entre ses troncs massifs et bosquets touffus qu'il m'était apparu, loup noir aux yeux d'ambre. Le poing crispé sur ma poitrine serrée par l'angoisse, je m'enfonçais toujours plus loin, faisant abstraction des cris lointains m'appelant. Je régressais, où était passée la fille forte que j'étais devenue depuis que j'avais intégrée la bande? Elle était introuvable en cet instant. Je finis par m'effondrer au pied d'un arbre, le coeur battant la chamade. "
" La peur me submergea, sentiment traître qui me coupa l’usage de mes membres. Plantée sur place, je n’arrivais plus à réfléchir, mon cerveau en mode black out total. Les pupilles dilatées, le souffle court, je sentis la sueur glisser le long de ma colonne vertébrale, laissant un filet glacé sur ma peau moite. Ce n’est pas possible pensais-je en déglutissant nerveusement, pas possible. Devant mes yeux exorbités, une scène irréelle se jouait. Comme assourdi, le bruit arriva jusqu’à mes oreilles. Je frémis en associant le son avec l’image horrible que je ne pouvais occulter. Je me mordis violemment la lèvre pour ne pas hurler. Rester silencieuse constituait mon seul espoir de ne pas être la cible de ce cauchemar. La bête ne paraissait pas m’avoir calculé. Elle continuait de déchiqueter le corps dans lequel elle avait planté ses pattes aux griffes luisantes de sang. Mon propre sang battait furieusement à mes oreilles alors que je me demandais comment j’allais pouvoir me tirer de cette situation vivante. Les crocs claquaient bruyamment, coupant la peau, sectionnant les tendons, mordant avec voracité les muscles mis à nus. Incapable de détourner la tête, je sentis la nausée se frayait un chemin jusqu’à mes lèvres. Je la réprimais difficilement."
" Le souffle me manqua quand son regard croisa le mien. Telle une source magnétique, je ne pouvais détacher mes yeux des siens. Jamais je n’avais eu autant conscience de la présence de quelqu’un. Il se tenait là, à l’autre bout de la rangée, et pourtant j’avais l’impression de me trouver à quelques centimètres seulement de lui. Le cours commença, et les stylos crissèrent de concert sur l’espace vierge des feuilles. La connexion fut coupée. Je le vis tracer rapidement des lettres avec sa plume, mouvements d’une élégance indéniable. J’avais la sensation d’être envoûtée. Je le buvais littéralement du regard tandis qu’il prenait en notes le cours, quelques mèches de cheveux lui tombant devant les yeux, ajoutant une note de douceur à son charme animal. Je me surpris à désirer passer les doigts dans ses cheveux d’ébène. Je sentis mes joues virer à l’écarlate quand je me rendis compte du tour que prenaient mes pensées. Cherchant maladroitement dans ma trousse, j’en extirpais un stylo dont je fis glisser nerveusement la pointe sur mon bloc note."
De nouveau je fus plongée dans ce rêve, celui qui ne cessait de revenir encore et encore au creux de mes nuits. Deux yeux d’ambre me fixaient, brûlant d’une flamme envoûtante. Au début je ne distinguais qu’eux, trouant la noirceur de la nuit. J’étais partagée entre deux sentiments contradictoires qui me déchiraient. La peur, celle qui s’était agrippée à moi depuis l’Accident, m’oppressait, me donnant envie de prendre les jambes à mon coup et de fuir droit devant moi pour échapper à… à quoi ? Je n’arrivais toujours pas à définir l’origine de cette peur… En même temps, je ne pouvais m’empêcher de ressentir un sentiment de sécurité dès que les yeux d’ambre se posaient sur moi.
